CHAMPIONNAT SUISSE D’ORTHOGRAPHE 2019, DEMI-FINALE, Genève, Salon du Livre
EPISODE VII : Pèlerinage
Mon amie est rentrée vers dix-neuf heures. Dans la pénombre, nous nous sommes installées sur le canapé, et pendant que nous buvions du darjeeling et grignotions une tranche de kouign-amann, je lui ai demandé de me raconter sa journée : (dictée des juniors)
A quoi me suis-je occupée aujourd’hui ? Eh bien, je me suis baguenaudée toute la matinée et, vers midi, le hasard de ma promenade m’a amenée à l’extérieur du bourg, au-delà des remparts, dans la zone occupée par les jardins vivriers familiaux. J’ai voulu revoir celui où mes frères et moi jouions dans notre jeunesse. Que de moments heureux n’y avons-nous pas vécus ! Il avait vu nos jeux et nos ris enfantins. Vingt-cinq ans que je n’y étais pas retournée ! Existait-il encore ? Qu’était-il devenu ? Qu’allais-je découvrir ? Le localiser me fut aisé, car l’oseraie qui le jouxtait était toujours là. Tu imagines sans peine mon émotion lorsque, le cœur battant, j’y pénétrai par une trouée dans la haie de thuyas et de troènes en faisant s’envoler une nuée de pompiles effarouchés. (fin de la dictée des juniors)
D’emblée, j’éprouvai un choc, car je ne reconnaissais plus rien. Ne m’étais-je pas trompée? Là où triomphaient naguère la symétrie, l’ordre et la mesure régnaient la confusion, l’enchevêtrement et la luxuriance. Il n’y avait plus ni parterre ni plate-bande. J’avais l’impression que la nature s’était plu à ensevelir mes souvenirs dans un linceul d’herbes folles. Les orties interdisaient l’accès à la cabane où nous avions couru cacher notre chagrin à la mort de notre grand-mère. C’est là que mes frères s’étaient fait fort de construire une fusée avant qu’elle ne prît feu. C’est là aussi que, âgée de seize ans, j’avais passé une nuit entière après m’être laissé surprendre par l’heure et le sommeil. Maintenant, les épeires et les orbitèles la squattérisent. Peut-être est-elle aussi le refuge des rhinolophes ou des chats féraux ?
Immobile à l’ombre du vieux cytise en fleur, j’observais : des gerris glissaient sur l’eau de la vasque où un traquet motteux et une mésange nonnette se désaltéraient. Syrphes et éristales voletaient au-dessus des ombelles aux fleurs vert jaunâtre du maceron. Des touffes d’hysope encerclaient le petit banc de granit sur lequel s’était tant de fois assise notre mère pour nous lire les contes de Grimm et de Perrault. J’étais figée dans le silence lorsque, jaillissant d’un massif de vesces, s’élevèrent les stridulations d’un grillon auxquelles répondirent instantanément les notes flûtées d’un alyte invisible. C’est à ce moment-là que des enfants qui s’amusaient dans le jardin voisin se mirent à rire aux éclats. Pour moi, c’en était trop, je me suis tout à coup sentie envahie par une immense tristesse et je suis repartie, j’ai fui.
Elle se tut. Dans le silence de la nuit tombée rôdaient alors les fantômes du passé. Sans dire un mot, je l’ai prise par l’épaule et je l’ai serrée contre moi.
Francis Klotz sous le contrôle du jury présidé par Pierre Mayoraz
Variantes
platebande(s), plates-bandes,parterres, en fleurs, kouingamann, granite
Vocabulaire
le kouign-amann : gâteau breton feuilleté caramélisé, riche en sucre et en beurre
le darjeeling (du nom d’une ville du Bengale) : thé indien à l’arôme léger et délicat
se baguenauder : se promener en flânant
vivrier : dont les produits sont destinés à l’alimentation
les jeux et les ris : les plaisirs
un pompile : insecte porteur d’un aiguillon et qui fait son nid dans le bois pourri ou le sol
se faire fort de : synonyme de « se vanter » ; le participe reste invariable. Girodet (Pièges et difficultés de la langue française, Bordas) donne l’exemple suivant : « Les filles se sont fait fort de nous battre ». Le participe s’accorde lorsque « se faire fort » signifie « tirer sa force de ». Exemple: « Ces nations se sont faites fortes de la faiblesse de leurs voisins ».
une épeire : araignée commune des jardins, qui tisse une toile à réseau concentrique
une orbitèle : araignée qui tisse une toile polygonale à symétrie centrale
un rhinolophe : chauve-souris qui présente une membrane semi-circulaire sur le nez, appelée pour cette raison fer à cheval (fer-à-cheval)
féral : se dit d’une espèce domestique retournée à l’état sauvage
un cytise : arbre ornemental à grappes jaunes
un gerris : insecte aux longues pattes, marchant rapidement sur l’eau
un traquet motteux : passereau au croupion blanc ainsi appelé parce qu’il se tient le plus souvent sur des mottes
une mésange nonnette : variété de mésange dont le plumage gris cendré rappelle le costume de certaines religieuses
un syrphe : insecte aux antennes courtes, à l’abdomen jaune et noir, au vol rapide
un éristale : insecte diptère qui ressemble à l’abeille
un maceron : plante méditerranéenne aux feuilles comestibles, aux fleurs vert-jaune
l’hysope (nom fém.): arbrisseau méditerranéen à fleurs bleues
Grimm : nom de deux frères, Jacob (1785-1863) et Wilhelm (1786-1859) ; écrivains et linguistes allemands, ils réunirent de nombreux contes populaires de leur pays
Charles Perrault (1628-1703): écrivain français, auteur de contes célèbres
une vesce : plante herbacée commune, à feuilles pennées terminées par des vrilles
un alyte : batracien appelé aussi crapaud accoucheur, qui porte, enroulés autour de ses pattes, les chapelets d’œufs pondus par la femelle
LE MOT DU PRESIDENT DU JURY
De faune et de flore
L’épisode VII de notre saga aura permis aux courageux qui ont affronté le texte de Francis Klotz au Salon du livre de parfaire leur connaissance de notre environnement. Et la plupart d’entre eux ont regagné leurs pénates, riches de nouveaux mots et d’une jolie brassée de fautes. Il en est quand même quelques-uns que l’on soupçonnera de fréquenter une littérature que les problèmes climatiques ont fait sortir des bibliothèques et des auditoriums universitaires. Voire, pourquoi pas, de se baguenauder dans nos champs et taillis. Ceux-là ont bien limité les dégâts.
L’exercice a particulièrement réussi à Daniel Fattore, l’un de nos concurrents de la première heure, qui se tire du piège avec seulement deux fautes. Bravo!
La plus grande partie des participants à la demi-finale genevoise ne manqueront pas de tenter à nouveau leur chance à l’occasion de la finale qui se tiendra dans le cadre du Village du livre de Saint-Pierre-de-Clages comme d’habitude.
Pierre Mayoraz, président du jury
Palmarès
Sont qualifiés pour la finale à Chamoson le samedi 24 août à 11h dans la salle polyvalente :
Seniors
Fattore Daniel (2ftes),
Le Gal Riana (4ftes),
Bohic Clément (5ftes),
Menoud Jacques (6ftes),
Rohner Magali (6ftes)
Sont également qualifiés : (dans l’ordre du classement)
Pilloud Mareva, Hachemane Patrick, Crisinel Jean-Luc, Jaques Eveline, Guex Florence, Terjan Olivier, Cattin Carole, Grin Véronique, Emery Marc, Moerch Françoise, Gentizon Suzanne, Herbo-Mettraux Sarah, Michel Stéphane, Lucifora Gianvito, Messerknecht Ilsegret, Chliamovitch Gregor, Scheller Yves, Mounir Germaine, Vauthey Gisèle, Steiner Maria, Mounir Françoise, Zeizer Melissa, Pilloud Alexandra, Sion Anne-Laure, Scheller Ariane, Bottelli Cécile, Guerry Wanda, Chavan Laurence, Sevrin Gilles, Avognon Gustave, Croci Marie-Viviane, Cattin Emmanuelle, Zeizer Dominique, Wicky Tamina
Juniors
de Montmollin Solène (4ftes),
Chavan Elodie (5ftes),
Zeizer Beatriz (12ftes)
Remarque : Les concurrents non qualifiés peuvent néanmoins concourir dans la catégorie open lors de la finale.