Demi-finale du 29 avril 2005 au Salon du Livre, Genève
VALSE-HESITATION
MERCREDI 26 avril
Ô temps, suspends ton vol ! Le compte à rebours a commencé. L’heure H approche. Pourtant je voudrais l’avoir (la voir) déjà terminée ! L’an passé aussi, je m’étais fait avoir. Si je pouvais gagner, ne fût-ce que quelques heures, mais je me sens acculée. Dans trois jours, face à la feuille blanche, lorsque retentira le titre de la dictée, je serai sur le qui-vive et prête à défaillir parce que je penserai à la Berezina que j’ai vécue lors du dernier championnat. Je m’étais présentée sûre de moi, persuadée que je vaincrais et j’étais repartie après un résultat piteux, l’escarcelle garnie de quinze fautes. Ballottée d’un participe passé à l’autre, tel un conteneur désarrimé dans la soute d’un cargo sur une mer déchaînée, confrontée au vocabulaire spécialisé de l’halieutique et de l’ichtyologie – le sujet du texte étant le frai du tacaud, j’avais coulé. Pourquoi donc me suis-je laissé surprendre ? Pourquoi me suis-je laissée aller aux délices empoisonnées de la nonchalance? Alors qu’il m’eût fallu céder à l’attrait des dictionnaires, des mémentos et autres ouvrages spécialisés, je me suis sentie mystérieusement attirée par un roman-photo insane dont l’inanité et la vacuité m’ont fascinée. Maintes fois, mes proches m’ont crue dérangée, car pendant sa lecture ils m’ont souvent entendue rire aux éclats tout à trac, sans raison apparente. Oui, je le confesse, j’ai baguenaudé. Je n’aurais pas dû. L’état actuel de mes connaissances ? Pitoyable. Je ne sais rien et je n’acquerrai plus rien.
JEUDI 27 avril
C’est décidé. Je m’abstiendrai. Que dirai-je à cette amie ? Pourquoi m’avoir entraînée dans cette galère ? Que ne me suis-je dérobée d’emblée ? Que n’ai-je échafaudé un gros mensonge qui l’eût laissée sans réaction, désolée ? Je ne serais pas dans l’embarras, je siffloterais maintenant quelque rengaine à la mode au lieu de ressasser des listes de mots. Peut-être est-ce le désir de me voir ridiculisée qui l’a mue ?
(Début de la dictée des juniors)
Ses professeurs l’ont toujours vantée pour son orthographe. Se sentir supérieure l’aura grisée et incitée à m’attirer sur un terrain où son savoir lui a de tout temps permis de me dominer. L’adulte serait-elle aussi machiavélique que l’étudiante hypocrite qui me lançait un « dommage ! » goguenard à chacun de mes échecs? Je ne ferai pas cette dictée quoi qu’il dût m’en coûter.
VENDREDI 28 avril
Je me réveille indécise. Et si je me présentais quand même? Il ne sera pas dit que je tire au flanc. Il y aura peut-être des sans-faute et je compte en être. Mon psychothérapeute m’a secouée et prise en main, et me voilà requinquée. Il m’a insufflé un moral à toute épreuve. Je vais réviser d’arrache-pied et me bourrer de produits illicites qui vont faire de moi une bête à concours invincible. Dussé-je veiller toute la nuit, j’honorerai cet événement de ma présence savante, ô combien !
SAMEDI 29 avril
Fut-ce le trac ou l’ignorance ? J’en ai été réduite à parcourir les allées du (S)salon à la recherche d’un traité exhaustif sur l’accord du participe passé…
Francis KLOTZ
VARIANTES : 1) Berezina, bérézina, berezina 2) évènement
sous le contrôle du jury présidé par Pierre Mayoraz
FÊTE DU LIVRE – CHAMOSON – Dictée 2006
Et soudain, la lumière…
Dans quel état j’erre! Hâve et fantomatique, assailli par mille pensées taraudeuses, je rôde dans mon appartement en quête d’un sujet. J’hésite, j’atermoie, je me tâte. J’esquisse, je me repens et je rature. Mes volte-face sont légion. Mes palinodies s’accumulent. Ma pâleur effray(i)erait un peintre. Je rédige ma dictée et j’étreins ma pauvre tête où, depuis quelques jours, idées folles et thèmes farfelus à foison se sont succédé et télescopés. Terrible embarras !
Ah ! si je me décidais, je décrirais les tribulations de ci-devant aux prises durant la Terreur avec des sicaires patibulaires déguisés en sans-culottes. Je les montrerais se glissant le long des venelles du Paris révolutionnaire. Rien ne m’interdirait de dépeindre avec force détails la perplexité d’un archéologue exhumant dans un village du Péloponnèse des cratères sur les- quels un tâcheron facétieux et malhabile aurait gravé des cent romains. Il serait bien tentant aussi de narrer les tracas d’un gagnant au jackpot ou au baccara qui, après avoir gagné des mille et des cents aussitôt perdus lors d’un krach, échouerait loqueteux dans son sampot sur les sampan(g)s de Bangkok. Qui m’empêcherait de décrire l’ahurissement d’un entomologiste époustouflé par l’appétit des odonates ? Je le croquerais, les yeux rivés à son binoculaire, disséquant les pièces buccales d’un agrion, les brucelles à la main. Et pourquoi me priverais-je de railler les ronds de jambe des thuriféraires qui pullulent dans le sillage des gens bien en cour ? Je les montrerais flagornant à qui mieux mieux pour obtenir une prébende ou un maroquin ou se voir accrocher au revers du veston un de ces affûtiaux baptisés médailles.
Je me glisserais aussi volontiers, entre poêles et poêlons, dans la cuisine d’une grande toque qui, fatiguée de l’excellence, mettrait son talent envolé à confectionner des galimafrées et autres ragougnasses que des bobos ébahis se feraient fort de vanter et, pigeons ravis et complaisants, de payer… au prix fort. Je décrirais sa brigade de gâte-sauce(s) accommodant des mets peu ragoûtants et houspillant indûment de malheureux marmitons n’en pouvant mais.
(début de la dictée des juniors)
Jouissance il y aurait aussi à moquer la cohorte jamais lasse de tous ces Chateaubriand(s) de banlieue qui s’imaginent étoffer leur prose indigente en la truffant de mots anglais et croient ainsi être dans le vent alors qu’ils ne volettent que dans le souffle de la sottise.
Et pourquoi ne pas entamer aujourd’hui un feuilleton ? Feuilletoniste, voilà ! Cela ne me messied point. Ce sera donc un roman-fleuve, avec une intrigue embrouillée à souhait: l’histoire d’une dynastie de peaussiers devenus fournisseurs de la cour durant le Grand Siècle et qui acquerront à vil prix les terres de hobereaux ruinés et, anoblis à leur tour, édifieront une énorme fortune que les Trois Glorieuses jetteront bas. De quoi faire sangloter Margot dans sa chaumière!
F. KLOTZ
sous le contrôle du jury présidé par P. Mayoraz
Phrases subsidiaires :
1) La matrone mafflue mélangea les vitelottes et les psalliotes et arrosa le tout d’un verre de château-lafite.
2) Devant la gargote, une jeunotte fiérote et vraie tête de linotte a la bougeotte. Elle danse la gavotte de manière rigolote.
Quelques commentaires sur la correction de la dictée:
Les candidats au titre ont bénéficié d’une dictée un peu plus facile que d’habitude lors de la demi-finale du Salon du livre de Genève. La trêve n’a pas duré. Francis Klotz ne voulait pas leur faire perdre le goût de la difficulté. Il a donc concocté un texte plus corsé qu’à l’accoutumée pour la finale de Chamoson. La nouvelle catégorie Découverte en a d’abord fait les frais, commettant de nombreuses et diverses fautes. Les spécialistes ne furent pas épargnés qui rentrent chez eux avec de beaux prix, certes, mais la besace lourde de plus d’erreurs que d’habitude.
Cependant, la hiérarchie a été respectée:
Les fautes attendues n’ont pas déçu les correcteurs même si ragougnasses et autres galimafrées n’ont pas fait le plein. En revanche, « accommodant » en a troublé plus que prévu. Beaucoup de têtes ont tourné dans le tourbillon des accents circonflexes. Et puis, il y a ce candidat qui « disséquait les pièces buccales d’un négrillon ». Pas mûr pour le Cameroun. Les cent romains ont conduit à presque cent fautes seuls quelques érudits, quelques chanceux ou quelques distraits y échappant.
S’il semble qu’un certain nombre naviguent sur un sampan, peu portent un sampot.
Félicitations à ceux qui ont évité la plupart des pièges. Courage aux autres qui peuvent encore progresser. Et à l’année prochaine.
Pierre Mayoraz,
président du jury