Demi-finale du 5.05.07 au Salon du Livre, Genève
INSOLITE
Il y a, tapie au fond d’un cul-de-sac du vieux Lyon (Vieux-Lyon), dans une maison à colombages dont le crépi lépreux laisse apparaître des parpaings érodés, une boutique à l’aspect bizarre. L’enseigne en bois sculpté, fixée de guingois, représente un goret rosâtre à la queue tire-bouchonnée (tirebouchonnée), qui porte ces mots quasi illisibles: Au joyeux bric-à-brac. Quelquefois, un marmot du quartier, tirant nonchalamment sur sa sucette, s’arrête songeur devant la vitrine où trône la maquette géante d’une trière génoise sur laquelle tégénaires et orbitèles en verve ont eu tout loisir de déployer leurs rets de soie, et qu’un mannequin d’osier figurant un amiral d’antan coiffé d’un shako (schako) à casoar, que des vêtements haillonneux ne permettent plus d’identifier, désigne du doigt. Bien que dévorée par une curiosité sans limites, je n’avais jamais encore osé en franchir le seuil. Ce jour-là, mue par une force mystérieuse et un regain d’audace, j’y suis entrée comme on entrerait dans le Saint des Saints.
C’était ici le royaume de l’antiquaille, de la bimbeloterie et du brimborion. Tout rangement étant banni, l’amoncellement était la règle. Ce royaume avait ses sujets. Dans une obscurité que de rares ampoules nues tentaient de trouer, une multitude de grouillots vêtus de salopettes en patchwork s’affairai(en)t en un maelström incessant auquel un client eût aimé trouver un zeste d’explication et qui soulevait sur son passage des odeurs de poussière, de moisi et de vieux bois vermoulu. Ce chaos avait pourtant une loi : le mouvement perpétuel. Tous semblaient en quête de quelque chose, chacun se sentait l’âme d’un Colomb à la recherche du Nouveau Monde. Ils partaient les mains vides, après avoir reçu des instructions du maître de céans, un vieillard jargonnant et gesticulant, véritable ordonnateur de toute cette agitation, revenaient les bras chargés d’objets insolites qu’ils déposaient sur le comptoir devant deux très jeunes manutentionnaires, jumeaux dizygotes atteints de canitie précoce, qui les emballaient, les ficelaient et les étiquetaient avec une célérité et une dextérité inouïes, et ils disparaissaient de nouveau dans quelque obscur diverticule du labyrinthe de la boutique. Certains reparaissaient parfois, rubiconds, au bord de l’apoplexie, soulevant d’énormes paquets asymétriques, demi-recouverts de papier kraft, d’autres, arc-boutés (arcboutés) des pieds et des genoux, tiraient, en poussant des han, des ballots mystérieux et pesants.
(Début de la dictée des juniors)
Dès qu’il m’eut aperçue, le vieillard me montra la vitrine qu’il s’était fait installer récemment et qui renfermait son Graal, une collection qu’il avait achetée à un lapidaire amstellodamois: des améthystes, des topazes brûlées, des chrysolites (chrysolithes) et des scarabées irisés dérobés, me chuchota-t-il, par un Cairote dans le tombeau de Toutankhamon. Quelque éblouie et envoûtée que je fusse et si grande que fût la fascination qu’exerçaient sur moi les gemmes, mon attention était surtout attirée par deux volières suspendues au plafond, peuplées d’oiseaux vivants étrangement muets, et que je n’avais pas vues en entrant, et par une impressionnante collection de mors espagnols accrochés à d’énormes clous plantés dans un totem d’origine algonquine (algonkine). Il remarqua ma distraction et se dirigea vers une crédence ; il saisit sur la tablette la plus élevée un coffret d’où il sortit lentement un mouchoir de batiste tout fripé qu’il me dit avoir appartenu à Marilyn Monroe. Il le huma, s’empara de mon sac à main, l’ouvrit, y déposa le mouchoir et me lança un clin d’œil en mettant un doigt sur la bouche. Tout étonnée, je voulus protester. D’une mimique, il me demanda de n’en rien faire. Je quittai le magasin profondément troublée en serrant contre moi mon sac d’où s’exhalaient des effluves subtils qui réveillèrent tout à coup dans ma mémoire de vagues mais doux souvenirs d’un bonheur perdu.
Francis Klotz
sous le contrôle du jury présidé par P. MAYORAZ
FINALE – FÊTE DU LIVRE – CHAMOSON – Dictée 2007
ENCORE UNE BONNE NOUVELLE !
Rupture ! Oui, le président l’avait promise : il voulait que dans ce domaine aussi elle se produisît.
Le vote de la loi par les C(c)hambres fit l’effet d’une bombe dans le L(l)anderneau des linguistes, des grammairiens et des philologues. Quelque pertinentes qu’aient pu paraître de telles mesures, quelques grands efforts qu’il fît pour convaincre de leur bien-fondé et toute hardie que fût sa détermination, on n’avait guère osé y croire.
Supprimer l’orthographe, cette hydre abhorrée ! Quelle audace chez cet homme hors pair ! Peu lui importait que les mânes d’Edouard Bled en fussent horrifiés. C’était donc vrai : avec lui tout devenait possible !
Son objectif : réhabiliter l’écriture. Et pour inciter le peuple à écrire plus, il fallait le libérer de tout complexe. « Ecrire plus pour s’exprimer plus ! » avait-il maintes fois assé(e)né à des auditoires ébahis, n’étant mû que par le désir qu’on chantât encore davantage ses louanges.
Fini(s) les règles absconses, les listes d’exceptions et le culte de l’étymologie !
(fin de la dictée des juniors)
Oui, c’en était fini des dictées maculées de rouge ! Fini de la morgue de ceux qui savent ! Fini de l’angoisse devant la faute possible ! Au rancart les trop subtils accords des participes! Ecrivons au gré de notre fantaisie des mots pris au hasard tels que: argyronète, kinkajou ou…chlorophylle. Ainsi, les sans-faute seront la seule règle. Le rêve !
Du tréfonds du pays montèrent alors, au milieu des vapeurs d’encens, des oh ! pétris d’adulation. Hébétée, l’opposition ne monta pas au créneau. Il y eut bien des bah ! qui furent vite étouffés par les persiflages des thuriféraires en transe et les lazzi(s) des zélateurs en pâmoison devant tant de génie.
Tous les humiliés, tous ceux qui s’étaient fait recaler à un examen, toutes celles qui s’étaient vu refuser un emploi à cause de leur orthographe relevèrent la tête. L’ignorance, libérée du pilori, se voyait enfin hissée sur le pavois. Les cancres perdaient certes leur statut, mais exultaient. Leurs théories brandissant l’effigie laurée du président sillonnèrent villes et villages. Entre autres manifestations grand-guignolesques, on organisa des autodafés géants de dictionnaires sur les grand(s)-places de tous les chefs-lieux. On y conspua à l’envi la vieille dame honnie du quai de Conti. Un bourricot à la queue duquel on attacha un Larousse fut attifé de nippes vertes et solennellement proclamé membre de l’Académie. La haute couture mit le bonnet d’âne à la mode et il remplaça le bonnet phrygien sur la tête de Marianne. L’état de grâce continuait…
F. KLOTZ
sous le contrôle du jury présidé par P. Mayoraz
Phrases subsidiaires :
1) On pourra écrire à sa guise des noms tels que : poljé, faldistoire et décri.
2) Haro sur les petits animaux : les saumoneaux, les héronneaux et les paonneaux !
Quelques commentaires sur la correction de la dictée:
La dix-huitième édition du championnat suisse d’orthographe a donné lieu à une belle empoignade. Nous en voulons pour preuve le nombre de concurrents qui ont dû être départagés par les phrases subsidiaires.
Mais en ce qui concerne le vainqueur pas de phrases mais seulement quatre fautes à la dictée pour un parcours remarquable et une première victoire après bien des participations. Toutes nos félicitations et à l’année prochaine.
La dictée 2007 comptait peu de mots rares et si nos argyronète et kinkajou ont rempli leur office, recueillant force fautes, Landerneau et le masculin de mânes ne sont pas en reste.
En revanche les oh! et les bah! n’ont pas fait trébucher autant de concurrents qu’attendu.
A relever encore que la mouture 2007 comptait quelques lignes de moins que d’habitude d’où un nombre de fautes inférieur en moyenne.
Le jury vous remercie de votre participation et vous attend pour l’édition 2008.
Pierre Mayoraz,
président du jury