2001

3 novembre 2001

PAGE DE ROMAN

“Elle gisait à demi assommée sur la grève où un naufrage l’avait jetée peu avant l’aube. Là-bas, à quelques encablures du rivage, au milieu d’un champ d’écueils, béait la coque du cotre sur lequel elle avait embarqué aux Seychelles. Soudain le vacarme des flots en furie la réveilla et les souvenirs lui revinrent: la tempête, la panique, puis le choc. Elle avait sauté à l’eau, s’était agrippée à sa bouée et  s’était laissé porter jusqu’à la côte. Elle l’avait échappé belle et s’était tirée d’affaire avec quelques ecchymoses.

Assoiffée, elle lapa l’eau saumâtre d’une flaque pour chasser  une bizarre et irrépressible envie de citronnade. Elle se redressa à grand-peine en grimaçant: son coccyx la faisait souffrir.

Sur quel îlot désert de l’océan Indien le sort l’avait-il jetée? Qu’était devenue son amie? Elle se souvenait de l’avoir entendue évoquer la mise à l’eau du dinghy, de lui avoir donné un gilet de sauvetage et, après s’être fâchée de ses atermoiements dus à la peur, de l’avoir instamment exhor- tée à sauter avec elle. Elle se l’était imaginée plus hardie. Pourquoi ne l’avait-elle pas entraînée de force? Elle se le serait presque reproché. Deux rescapées se seraient réconfortées et épaulées, mais maintenant elle était seule et dans le dénuement le plus complet. Elle regarda autour d’elle. Il n’y avait rien qui pût la rassurer. Tout n’était que menace(s).

Le spectacle de la mer démontée la terrifiait, celui de la terre l’angoissait. Derrière la plage que jonchaient çà et là des débris de toutes sortes s’élevait la forêt tropicale, véritable embrouillamini végétal. Ici Charybde, là Scylla. Tout à coup, les bougainvillées vers lesquelles elle se dirigeait s’agitèrent et un vol de pétrels passa au ras des flots. Elle frissonna craignant de voir surgir à tout moment  une horde d’anthropophages demi-nus et malintentionnés.

Une tortue! Elle  sourit lorsqu’elle vit apparaître une énorme tortue(-)luth qui se mit nonchalam- ment  à fouir le sable. Fascinée, elle l’observa un long moment, se mit à croupetons et esquissa même une caresse sans que l’animal ne s’en effrayât.

DICTEE  DES  JUNIORS

Et maintenant que faire? Retourner à l’épave dans l’espoir fou d’y retrouver son amie? S’enfoncer dans cette forêt  au risque de s’y perdre et d’y être engloutie? Ereintée par le trop-plein d’émotions, elle s’affala et s’endormit  instantanément. A son réveil, ô surprise! la marée basse permettait d’atteindre l’épave à pied sec. Aussitôt, mue par un regain d’énergie, elle courut  à toutes jambes en  criant le nom de son amie. Elle s’était mis en tête qu’elle ne tarderait pas à l’apercevoir. Toute autre issue lui semblait inenvisageable. Ne s’étaient-elles pas juré assistance? Aïe! La douleur l’arrêta net  et c’est  la démarche claudicante qu’elle parvint au bateau couché sur le flanc bâbord et autour duquel flottaient les odeurs  mêlées du gazole et du varech. Elle en faisait le tour le cœur battant lorsqu’un hublot s’ouvrit, et une voix douce comme un susurrement et qu’elle connaissait bien  murmura:

-Déjà! Heureusement que je ne comptais pas sur un sauvetage express !

-Oh! quel aplomb! rugit-elle, ulcérée par tant d’impudence.”

Il  referma le livre, à la fois étonné et ravi que son héroïne préférée fût encore en vie, mais convaincu qu’elle était une vraie chipie.

Francis Klotz

Phrase subsidiaire:

Des bricks drossés sur la côte sautèrent des boucaniers patibulaires fagotés comme des carêmes-prenants.